Lettres ouvertes à la maîtresse

Elle s’appelait Agnès

Chère Maîtresse, Je n’aime pas parler d’actualité. Et comme j’habite à l’étranger, je la suis généralement assez peu. Mais voilà, chère maîtresse, depuis quelques années, votre métier semble de plus en plus difficile… Eprouvant… Dangereux. Elle s’appelait Agnès. Cela veut dire « sacré ». Comme l’agneau sacrifié. Il y avait un temps où le professeur avait encore cette aura. On les respectait. On ne les frappait pas, on ne les tuait pas, on ne les laissait pas le matin vivre dans la terreur. Il y a eu ce geste terrible. Loin d’être le premier. Et je n’ose dire le dernier. Chère maîtresse, cela fait mal pour vous. Pour tous ceux qui, comme vous, ont choisi de transmettre, d’enseigner, de donner. Et puis, derrière l’horreur, il y eut la beauté. Ultime. Jamais un enterrement n’aura eu tant de grâce ni de sincérité. Un homme seul, abandonné devant un cercueil. Chère maîtresse, il y a des personnes comme des étoiles. Qui au fond de l’obscurité trouvent encore la force de briller. Danser avec un souvenir… Et entraîner dans sa valse des couples aux yeux bien rouges. Danser comme un pied de nez. Être celui qui souffre et irradier quand même. Danser seul.…

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98 lettres

Chère maîtresse, c'était il y a 3 ans, jour pour jour. Les écoles fermaient. Nous étions tous sous le choc, catastrophés, intrigués, bouleversés. C'est alors que j'ai commencé à vous écrire. Tous les jours. Les chroniques d'une maman confinée. Ma manière à moi de réinjecter de l'humour dans cette situation déroutante. La série des chères maîtresses. Je vous ai écrit 98 lettres depuis. Tout cela, rien que pour vous. Et pour mes enfants, pour lesquels je les imprimerai un jour. Chère maîtresse, je vous partage cette première lettre avec émotion. je vous en repartagerai d'autres au fil de l'eau. Il y en a des pépites. Merci de me supporter depuis. Aurélie

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Le Bon (Gros) Géant

Chère maitresse, connaissez-vous Roald Dahl, cet auteur effroyable à ne lire sous aucun prétexte ? Rien que d'y penser, j'en frémis... Et dire que j'ai grandi là-dedans, sans doute est-ce pour cela que j'ai mal tourné... Un Bon Gros Géant, mais comme c'est insultant ! Même la grosse pêche s'est sentie offensée d'être affublée d'une telle épithète... Cachez ce gros que je ne saurais voir, rugit-elle! Mais qui est gros? demande Obelix. Bref, je vous le dis, Roald Dahl est à rayer de vos listes de lecture. Jamais, vous entendez, jamais plus il ne faudra donner ces livres à des enfants... Ils pourraient y acquérir un vocabulaire déplacé. Ah chère maîtresse, mais j'y pense, pourriez-vous également bannir ce vieux Perrault ? Ce bon Charles est en effet par trop ringard... Cendrillon n'est qu'une ravissante idiote dont la seule qualité est d'avoir un joli pied (on aurait préféré que le prince loue son intelligence ou ses talents au foot) et Blanche-Neige une gourde mangeant tout ce qu'on lui donne. Supprimons les 7 nains, les ogres et les sorcières et au passage les loups pervers, tous ces gens ne sont guère corrects ! Tant qu'on y est, évitons les maisons en pains…

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La maman sérieuse

Chère maîtresse, Aujourd’hui c’est carnaval ! J’adore déguster le défilé des enfants tout excités à l’idée de cette journée. Passés les multiples princesses, Spiderman et Star Wars (dont mon fils fait partie, ciel, faut-il l’avouer, avec un peu de chance, vous ne l’auriez pas reconnu…), il y en a toujours qui font preuve d’une immense créativité. Ce matin, j’ai croisé une banane, un lampadaire (idée lumineuse !), une machine à pop corn, une fraise et une sirène. Ça tombe bien, aujourd’hui, il paraît qu’ils ont piscine. Il y a les enfants aux déguisements 100% faits maison, ceux qui ont Christian Dior chez eux, ceux qui ont bricolé des choses avec des cartons, ceux qui ont des costumes un peu ratés mais tout le monde a fait de son mieux. Mais laissez-moi vous conter ma mésaventure : ce matin, j’étais fatiguée et j’ai chaussé mes lunettes dès le petit déjeuner, ce qui n’arrive jamais. Devant l’école, un papa me salue: « Ah, toi aussi, tu t’es déguisée ? » Ah chère maîtresse ! Imaginez mon désarroi. Moi, déguisée ? A cause de mes lunettes ? Mais en quoi ? Je retourne la question depuis 8h30 et il n’y a guère qu’une…

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Passé pas si simple

Chère maîtresse, Ne croyez rien de ce qu’a dit mon fils, je suis bien présente et je n’ai jamais été aussi en forme, si je compte sans mes cheveux que j’ai arrachés ce week-end pendant la révision de la conjugaison. Le passé (pas si) simple. Vous me faites un sale coup. Pourquoi les Français sont-ils les seuls à dissocier ce passé exotique de l’imparfait ? Non mais parfois on se pose des questions. Il faut dire que tout avait mal commencé. « Conjugue-moi le verbe aimer ». « J’aima, tu aimas, il aimât, ils aimarent… » (un peu comme dans ils enonmarrent sans doute). J’adopte la position du lotus et je respire profondément. « Bien, passons à la suite ». Ah, chère maîtresse, votre exercice était d’une cruelle difficulté. « Lis le texte et souligne les verbes au passé simple ou à l’imparfait ». Trop fastoche, dit-il… Moi, perso, j’ai les pétoches. « Pour t’aider, je te fais bip quand il y a un verbe que tu oublies. » Il me regarde d’un air hautain. « Il était une fois / bip / une bande de pirates qui vivaient / bip/ sur une île. Un jour, les pirates creusèrent /…

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Ma mère, elle n’est plus là

Chère maîtresse, C’est moi et pas ma mère qui vous écris aujourd’hui. Voilà, je voudrais vous dire que je n’arriverai pas du tout à travailler mon contrôle d’anglais de la semaine prochaine. Ben oui, j’ai besoin de ma mère pour ça, et en fait, c’est la cata, elle n’est plus là. Enfin, si, elle est là dans la maison, mais elle ne me voit pas. Depuis qu’elle a recommencé à travailler sur son roman, tout est devenu trop compliqué. Le soir, elle a la tête en l’air, on lui parle, mais elle ne nous écoute plus, et d’un coup elle a un sursaut et elle se précipite pour écrire des choses dans son carnet. Et même quand on fait des bêtises, elle ne dit rien et elle rigole d’un air absent. Ce n’est pas facile vous savez et ça me donne beaucoup de travail. Faut toujours être là pour réparer les dégâts. Elle a mis une machine sans le linge dedans, oublié le dîner dans le four, elle a servi du coca au chien et de la pâté à table. Vraiment, oui, c’est très très compliqué. Et le pire c’est que quand je rentre de l’école, je vois bien qu’elle…

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C’est un livre incroyable, maman, faut que tu le lises !

Chère maîtresse, Mon fils, 10 ans, cet astre sage et studieux que vous connaissez bien, rentre de l’école et comme tous les soirs, vide littéralement son cartable sur le sol de l’entrée. Coincé entre deux cahiers passablement écornés, un crayon mâché, une trousse renversée et un manga qui pèse son pesant d’or… un roman. Ciel ! Nonobstant le fatras éparpillé par terre, je jette discrètement un œil sur la couverture. Mon cœur se fige. Sepulveda. La voix tremblante, je demande sans trop oser y croire : « Euh, c’est toi qui lis ça ? » Il me regarde blasé : « Ben oui, on le lit en classe ». Zut et flûte, lire en classe, l’assurance de ne pas aimer… « Et ça te plaît ? » Son regard s’anime soudain : « C’est un livre incroyable, maman, faut que tu le lises ! Tu connais le gars ? » J’opine. Ben oui, il est un peu connu. Sepulveda. Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pu y croire. Si je le lui avais proposé, il me l’aurait jeté en pleine poire : « J’en veux pas de ton vieux truc », comme pour les Roald Dahl, les…

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Panini

Chère Maîtresse, Nous sommes ici en pleine crise d’hystérie de cartes Panini. Coupe du monde par-ci, coupe du monde par-là. Moi qui ai toujours détesté le foot, maintenant que je suis vaillante maman de 3 garçons, il a bien fallu que je revoie ma copie. Vous n’imaginez pas tout ce que j’apprends. Figurez-vous qu’il y a de Gaulle dans l’équipe de France ? Oui, oui, je vous vois, moi aussi la nouvelle m’a laissée tout ébaubie. Mon fils m’a annoncé ça comme ça, juste après m’avoir dit qu’il y avait deux Hernandez. Pour être honnête, j’ai trouvé cela glorieux. De Gaulle dans l’équipe de France, l’homme qu’il nous faut pour gagner. Les Argentins ont bien le Messi, pourquoi n’aurions-nous pas de Gaulle ? « C’est un descendant ? » Mon cadet me regarde sans comprendre. Mon aîné pouffe de rire. « Mais non maman, il y a de Gaulle dans l’équipe de France. » Je ne vois pas le problème. Il faut dire que j’écris un roman qui se passe en 1940. Mon aîné se tient les côtes. Il me montre l’album. Là-haut, deux petits gars en jaune quand les autres sont en bleu. Je rougis de ma bévue. Ah,…

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Doudou

Chère Maîtresse, Aux grands maux les grands remèdes. Oui, les journées de CP peuvent être bien longues pour un enfant qui rêve d’être encore en vacances. Ah, ces semaines à la plage à courir derrière les coquillages, pourquoi a-t-il fallu que cela se termine? Et cet automne qui est venu sans crier gare, même pas le temps de jouer les prolongations à la piscine ou sur les lacs. Où donc est passé ce soleil tant aimé ? Ah, chère maîtresse, mon fils a les jambes qui fourmillent de rester assis toute la journée à travailler, travailler, travailler… C’est donc ça, la grande école ? Que faire ? On nous a bien autorisé les doudous. Mais un doudou n’est qu’une fiction, chacun sait que ça ne sert à rien. Mon fils a évoqué l’idée du chien. J’ai essayé de le mettre dans le cartable, il rentre, c'était nickel, mais sans doute pas très convenable. Alors on a fait ça: une photo du chien chéri collée dans le couvercle. Mieux qu’un doudou. Bien sûr j’aurais préféré qu’il demande une photo de moi, mais bon, le chien, c’est déjà pas mal. Le soir, l’enfant était radieux : « Et tu sais, Pepito, il…

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La maîtresse punk

Chère Maîtresse, Hier mon fils rentre de l’école les yeux encore écarquillés de stupeur. « Tu sais quoi ? Aujourd’hui, on avait une remplaçante et … et elle était… » Je sens qu’il hésite à dire le mot. « Elle était punk ». Voilà, le mot est lâché et il le regarde se tortiller par terre sans trop oser y croire. « Comment ça, elle était punk ? » je demande en riant. « Eh bien, punk avec les cheveux roses fluo sur le dessus, rasés sur le côté, et des piercings partout. » Chère maîtresse, comprenez son étonnement. Depuis 12 ans que nous fréquentons l’établissement, nous avions été habitués à plus de classicisme. Je commence par appeler la cantine pour vérifier le menu. Non, pas de champignon hallucinogène dans l’omelette. J’envoie un whatsapp au groupe de parents pour vérifier les dires des autres enfants. Non, mon fils n’a pas fumé son cahier de grammaire. Tous confirment : la maîtresse est une punk. Mais attention, précisent-ils : une punk sévère mais très gentille. Ah, chère maîtresse, j’aurais tant aimé être dans votre classe aujourd’hui, pour admirer la tête des bambins étourdis par aussi peu de conventionnalisme. Merci de briser les…

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La plus belle de mes rentrées

Chère Maîtresse, Ça y est, mon tout petit est entré au CP. Je ne vous parlerai pas de ce maelström d’émotions, il n’est pas retombé. Si on ajoute le fait que la nuit avait été courte, trop courte, pour cause de chien vraiment très malade, j’étais dans un état qui n’est pas racontable. 2e jour de CP, voilà mon petit blond parti bien guilleret, me saluant négligemment de loin, déjà avec des copains, chiffonnant de son sourire de grand mon pauvre cœur de maman… Ma dernière rentrée en CP. Alors chère maîtresse, je ne vous en parlerai pas. Ce que je retiendrai de cette rentrée, c’est vous. Car cette rentrée a peut-être été la plus belle de mes rentrées, mais pas pour les raisons auxquelles vous pensez. L’autre jour, en arrivant devant la porte, une maîtresse de CE2 m’arrête pour me dire qu’elle vient de finir La Flamme. Hier, mon fils rentre un sourire jusqu’aux oreilles : « Tu sais, une dame à la cantine m’a dit de te dire que ton livre était super. » Une autre m’arrête à la sortie : « J’ai tant aimé votre Elvire. Elle est maintenant chez Sandrine en MS et l’infirmière lit votre…

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Ma dernière maternelle

Chère(s) maîtresse(s), Demain est le dernier jour et je ne vous dirai pas au revoir. Je partirai bien vite, les yeux gros et le cœur humide. Sans me retourner. Je n'aime pas qu'on me voie pleurer. Chère(s) maitresse(s), depuis 2013, neuf années sont passées. Neuf années de bonheur, de rire, de lettres et de chiffres. Neuf ans de carnaval, de chorale, de colliers de pâtes et de collages. Neuf ans qui ont filé sans avoir la décence de s’attarder. Une, deux, puis trois… Ma dernière maternelle. Alors, chère(s) maîtresse(s), vous me comprendrez. Vous vous souvenez de cette sortie de classe que j’accompagnais ? J’étais épuisée, je m’étais endormie dans le bus de retour… Ah, elle est belle, la maman… Et ces centaines de trajets, le matin avec le chien, main dans la main avec mes lutins. On sautait, on dansait, on faisait la schtroumpf la la. Bien sûr, il y a eu aussi tous les autres où je hurlais qu’on serait en retard. Demain est le dernier jour. De ça. De tout ça. Alors chère(s) maîtresse(s), MERCI… Merci pour les bobos que vous avez pansés, pour les activités que vous avez imaginées, pour les fous rires et les histoires partagées.…

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A la vie, à la mort, Papa, tu as fait tant de belles choses

Chère Maîtresse, Aujourd’hui est son dernier jour. Il s’est levé dès potron-minet, comme d’habitude, et a préparé son cartable, comme si de rien n’était. A 72 ans, il a toujours aimé ça, faire son cartable. Préparer son stylo, classer ses dossiers, de toute façon, l’école, déjà tout petit, il adorait. Le voilà parti, il remonte l’avenue, ouvre son cabinet, tout ça pour la dernière fois. Chère maîtresse, aujourd’hui est son dernier jour mais il part sans regret. « C’est la vie, m’a-t-il dit ». La vie, justement, est le mot qui a guidé la sienne. La vie, il l’a donnée des milliers de fois, y compris la mienne. La vie, il l’a aimée tant et tant que sauver celle des autres est devenu son combat. Car dans son cabinet, la vie, la mort, les bébés, les femmes âgées, malades, ou en pleine santé, tout ça, ça a toujours fusionné. Accompagner les femmes du premier au dernier souffle, voici la mission qu’il s’était donnée. Ecouter, suivre, conseiller, consoler. Son métier, sa passion, à la vie à la mort, samedi et dimanche compris. Et quelques fois justement, la mort, elle l’a fait pleurer. Parce que oui, les médecins, ça pleure aussi. Parce…

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Crise de fou rire orthographique

Chère Maîtresse, Ce soir, prise d’un zèle pédagogique, j’ai contrôlé les devoirs de mon fils… L’exercice n’était pourtant pas utopique : « Recopie chaque groupe nominal en remplaçant le complément du nom par un adjectif. » Certes, mais pourquoi donc mon fils s’est-il mis dans la tête que tous les adjectifs devaient finir en –ique ? « Tu comprends, a-t-il justifié naïvement, ils finissent toujours comme ça. Regarde : pratique, magique. Les adjectifs, c’est facile ! » Et c’est là, chère maîtresse, que la situation est devenue électrique. Que « planète » donne « planétique », j’en reste apathique. Qu’une « exposition de chiens » donne une « exposition chiennique », j’ai trouvé cela comique. Mais chère maîtresse, je ne vous dirai la suite qu’à but cathartique… « Le vent de la mer »… donnerait donc… Je ne peux pas, c’est trop tragique… Mais inutile d’être mutique, je préfère vous épargner une crise de fou rire frénétique au moment où vous découvrirez ce travail mirifique… « Le vent de la mer » devient donc logiquement… le « vent merdique ». Histoire authentique. J’ai réfréné un rire sardonique. Je me suis étouffée dans un juron peu poétique et j’ai pleuré sur…

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Subjonctif présent

Chère Maîtresse, pour mon 3e CM1, on peut dire que vous m’avez fait bosser ! Ensemble, nous avons revu tout le Bescherelle: le présent et le futur, l'imparfait et le composé. J’ai ancré ce que je savais déjà pendant que mon fils oubliait ce qu’il avait appris, c’était magique. Mais à force de nous évertuer à conjuguer le temps, nous avons oublié de le voir filer. J'ai rencontré hier une jeune femme que je n'avais pas vue depuis ma foi longtemps. Il y a quelques années, on se croisait tous les soirs dans le hall de la crèche. Je demande: - Et comment va ta fille? - Elle a 14 ans... [soupir]... Elle a eu ses règles, tu te rends compte? Mon silence est aussi glaçant que Munich en hiver, je manque d'en renverser mon verre sur elle. Elle me jette un regard compatissant et balbutie un "je sais" comme pour s’excuser. Chère maîtresse, le temps est décidément bien imparfait. A force de nous tirer vers le futur, il ne nous laisse pas décliner le présent, qui a pourtant vite fait de se carapater. 14  ans, mazette, ça ne nous rajeunit pas... Alors chère maîtresse, plutôt que de nous concentrer…

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