Chère Maîtresse,
Hier, il a travaillé d’arrache-pied. Non pas pour sa dictée, mais pour gagner trois sous. « Tu sais, m’a-t-il dit d’un air entendu, j’ai besoin d’argent pour… rien. »
Mon fils est un panier percé. Les rares pièces qu’il possède lui brûlent sans doute les doigts. Le voilà au boulot, à briquer ma voiture épouvantable de crasse, intérieur, extérieur, un pschitt par-ci, un coup d’aspi par-là, à trier l’Himalaya de chaussettes orphelines qui attendaient leur heure sagement.
Ce soir, à la sortie de l’école, je savais qu’il demanderait à nous accompagner, son frère et moi, chez l’orthophoniste… Dans le même immeuble, un magasin de jouets. Nous partons. Je l’observe, la poche remplie de ses trois sous, le sourire satisfait. Seulement voilà. Une fois le petit frère déposé, il me montre du doigt un magasin de petite déco, une caverne d’Ali Baba où j’adore déambuler. Il furète, regarde tous les prix sans rien dire, la vie des grands coûte décidément cher.
Soudain, ses yeux s’écarquillent. « J’ai trouvé », jubile-t-il. Il me somme de détourner les yeux, pose son trésor sur la caisse, et emporte contre son cœur un paquet de papier blanc qu’il tient comme un trésor. On récupère le petit frère. Je l’entends murmurer dans son oreille : « J’ai acheté un cadeau pour l’anniversaire de maman…»
Chère maîtresse, il s’est couché depuis longtemps et j’en suis encore toute retournée… Cet enfant a beau savoir être parfaitement épuisant, je ne suis pas sûre tous les jours de le mériter. Je sais qu’il n’attendra pas trois semaines avant de m’offrir son cadeau, je sais que tôt ou tard, le petit frère le trahira, je sais que cet objet ne sera pas la belle rose que j’aurais choisie, mais plus probablement un iguane sur un vélo ou un lapin à paillettes roses, mais ce dont je suis sûre, c’est que ce sera le plus précieux de mes cadeaux.
PSSSSTTT: c’est mon 100e chère maîtresse! L’intégrale, c’est par ici: