Chère maîtresse,
Choisir un métier est bien difficile quand on est un enfant. Mon cadet hésite depuis un an entre astronaute ou dessinateur de manga. Le choix est cornélien. « Dans tous les cas, fais-je remarquer, il va falloir bien travailler à l’école.»
Son petit frère, 6 ans, celui qui a un poil dans la main si grand qu’il peut s’en servir de canne pour marcher, l’observe en soupirant : « Moi j’aime pas l’école. Je voudrais plutôt travailler. D’ailleurs, comme je sais déjà jouer au foot, je ne vois pas pourquoi je ne peux pas travailler et être joueur de foot. »
Je ris sous cape. « Mon pauvre chéri, tu es né trop tard dans un monde trop injuste. Si tu étais né « à l’époque » (selon ses termes, comprenez il y a 150 ans), tu serais déjà au boulot. » Ses yeux s’écarquillent de regret : « Vraiment ? Et je n’irais pas à l’école ? » « Certainement pas, réponds-je, mais tu n’avais pas le choix, tu faisais le même métier que tes parents. »
Il se tait, songeur. Il répète pour bien comprendre : « Je faisais le même métier que mes parents ? » Oui. « Mais je n’allais pas à l’école ? » Je confirme de la tête. La panique l’envahit, je le vois qui hésite, tord ses mains, puis lâche brutalement : « Et comment on fait quand on a une mère écrivain ? Comment on fait si on ne sait pas écrire ? » Cet enfant est un génie.
Chère maîtresse, je vous confie donc mon fils, pauvre petit malheureux condamné à vous fréquenter… A apprendre à écrire, à lire, pas forcément à compter… Utile tout de même pour devenir footballeur. En cas de reconversion… Sait-on jamais.