Mon enfant,
Voilà onze ans que je suis née. Tu m’observais sans mot dire avec tes grands yeux sombres. Et moi, avec trois kilos deux dans les bras et dix kilos de trop dans le ventre, je savais que plus rien ne serait comme avant. Avant je n’étais qu’une femme frivole, avec ses talons trop hauts et ses robes trop plissées. Puis les robes se sont tachées, les talons se sont abaissés, les ongles se sont rongés, le mascara a coulé, eh oui, tu m’en as fait baver, mais tout ça, on s’en fout pas vrai? Pour moi, tu as ouvert ton plus joli dictionnaire et tu as éclairé des mots d’un sens nouveau. « Angoisse », comme quand tu convulsais et qu’avec ton papa, on restait pétrifiés; « responsabilité » de tenir soudain ta petite vie entre nos mains ; « passion », celle avec un grand P, qui peut te faire vibrer et souffrir à en crever ; « fierté » pour tout ce que tu fais, même un gribouillis sur une feuille de papier ; « amour », évidemment, mais maintenant au pluriel, pour toi, pour tes frères, ton père, mes parents…
Mon fils, il y a onze ans que tu m’as donné vie, et je t’avoue un secret: je n’aime pas toujours cette personne que tu as fait naître. Autoritaire, débordée, impatiente… J’espère que tu entends toutes ces fois où, la nuit, je viens te demander pardon. Regarde-moi comme une stagiaire à vie. Tu es l’aîné, tu paies les pots cassés.
Mon grand, merci de m’avoir fait naître. Accoucher d’une maman, c’est bien plus difficile à faire passer que trois kilos deux. Parce que non, ce n’est pas facile de tout laisser tomber, vouloir tout donner, ne pas vouloir tout donner, trembler quand tu tombes, courir pour te redresser, être fière quand tout était parfait, rougir jusqu’aux cheveux quand ça a dérapé, te voir grandir et t’éloigner.
Mon enfant, merci de croire en moi, envers et contre tout.