Elle s’appelait Agnès

Chère Maîtresse,

Je n’aime pas parler d’actualité. Et comme j’habite à l’étranger, je la suis généralement assez peu. Mais voilà, chère maîtresse, depuis quelques années, votre métier semble de plus en plus difficile… Eprouvant… Dangereux.

Elle s’appelait Agnès. Cela veut dire « sacré ». Comme l’agneau sacrifié. Il y avait un temps où le professeur avait encore cette aura. On les respectait. On ne les frappait pas, on ne les tuait pas, on ne les laissait pas le matin vivre dans la terreur. Il y a eu ce geste terrible. Loin d’être le premier. Et je n’ose dire le dernier. Chère maîtresse, cela fait mal pour vous. Pour tous ceux qui, comme vous, ont choisi de transmettre, d’enseigner, de donner.

Et puis, derrière l’horreur, il y eut la beauté. Ultime. Jamais un enterrement n’aura eu tant de grâce ni de sincérité. Un homme seul, abandonné devant un cercueil. Chère maîtresse, il y a des personnes comme des étoiles. Qui au fond de l’obscurité trouvent encore la force de briller. Danser avec un souvenir… Et entraîner dans sa valse des couples aux yeux bien rouges. Danser comme un pied de nez. Être celui qui souffre et irradier quand même. Danser seul. Digne. Sous nos yeux stupéfaits. Seul, lui ne l’était pas. Elle était dans ses bras, elle le contemplait. Le remerciait. Et dans son oreille, il lui murmurait le plus doux des secrets. La mort jamais ne les séparerait.

Cette scène est sublime. Dans un livre, tout le monde aurait trouvé à y redire : trop naïf, trop onirique, trop magique. Chère maîtresse, la réalité, heureusement, peut être plus belle qu’un roman. Car elle ne triche pas. Ne se bride pas. Se fiche de ce qu’on en pensera. Je ne voulais pas en parler. Pour ne pas abîmer, vous comprenez. Parfois les mots ne suffisent pas. Mais cette image m’habite. L’homme qui danse. En piétinant la violence et la haine. Pour ne garder que le plus doux. Je souhaite à cet homme-là de cheminer sur une route de plus en plus apaisée. Et d’y retrouver tout le bonheur possible.

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